« …et Lisbonne brillait ». Pereira prétend.

Article : « …et Lisbonne brillait ». Pereira prétend.
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05/11/2012

« …et Lisbonne brillait ». Pereira prétend.

Lisbonne sous le soleil

Antonio Tabucchi était italien. Né à Pisa en 1943, quand pour le Pays commençait  la période la plus dure de la seconde guerre  mondiale. Antonio Tabucchi était portugais. Il est mort à Lisbonne – sa Lisbonne – en 2012.  Connu et aimé dans ses deux patries, la naturelle et celle d’élection, surtout pour son œuvre d’écrivain, ainsi que pour sa connaissance du grand poète Fernando Pessoa.

On ne peut pas partir à Lisbonne sans « Pereira prétend », écrit en 1994 et chef d’œuvre absolu de Tabucchi. Le roman se déroule en 1938, quand le Portugal était gouverné par une dictature fasciste, dont les livres d’histoire parlent peu par rapport aux autres faits politiques de l’époque. Si tout le monde connait le nome de Francisco Franco, peu se rappelle que avant la guerre civile espagnole, en 1932, Antonio Salazar en tant que Chef du Gouvernement reforma la constitution s’assurant plein pouvoir : la démocratie était suspendue jusqu’en 1968.  « Pereira prétend » qu’il n’était pas intéressé à la politique. Il avait perdu sa femme, il y avait déjà quelques années mais il n’arrivait pas à penser à autre chose qu’à elle. Il était journaliste dans un quotidien, pour lequel il était en charge de la rubrique culturelle. Il aimait la citronnade bien sucrée, qu’on trouve dans les cafés les plus anciens de Lisbonne quand il fait chaud et on ne voit que le céleste du ciel et de l’océan. Il aimait la tranquillité et la routine.  Jusqu’un jour du mois d’aout,  un jour où « Lisbonne brillait » et il décida d’engager un collaborateur d’origine italienne, Monteiro Rossi, pour la section des nécrologes. Le jeune Monteiro commença par Gabriele D’Annunzio, qui avait soutenu le régime fasciste de Mussolini, pour lequel il n’utilisa pas des jolis mots. Pereira, bouleversé par les positions idéologiques de son collègue et de la copine à lui, commença pour première fois à se poser des questions sur le régime, la censure aux articles, la cruauté de la police salazariste. La prise de conscience du vieux journaliste devint plus forte lors qu’il rencontra Monsieur Cardoso, un médecin en charge de suivre Pereira dans un centre de thalassothérapie. Le docteur, victime à son tour de la censure scientifique et culturelle, lui exposa la théorie de la Confédération des Ames, qui veut que chacun ait plusieurs forces spirituelles qui guident  les réactions jusqu’à ce qu’une- la plus juste pour nous – ne devienne hégémon. Pereira comprit que sa recherche de la tranquillité était une façon d’échapper  à la peur de la mort, qui lui permettait de survivre mais pourtant pas vraiment de vivre. Il rentra à Lisbonne voyant Rossi et sa lutte avec de nouveaux yeux et il n’excita pas à aider le jeune homme et son cousin révolutionnaire, jusqu’au climax : l’assassinat de Monteiro par la police militaire chez Pereira même. La mort du garçon réveilla Pereira : il publia un article de dénonce sur la mort de Rossi grâce à un escamotage astucieux pour tromper la censure, avant de fuir à l’étranger.

Un roman historique sur une période qui a marqué le Portugal et qu’il faut connaitre pour mieux comprendre le Pays : « Pereira prétend », répété sans cesse, parce que c’était la dictature et tout le monde pouvait être coupable à priori. Un roman de formation sui generis, qui nous parle de la nécessité de ne pas rester aveugle face à l’injustice même quand il serait plus simple. Un roman de voyage, un roman de Lisbonne, qui est protagoniste autant que Pereira. La ville est aimée derrière la synopsis, sa beauté est cachée parmi les phrases et les dialogues et soudain elle nous apparait avec son ciel d’été, la douceur du vent qui caresse les rues, les couleurs vivides des journées ensoleillées. C’est la Lisbonne dont Tabucchi était amoureux, sa Lisbonne, qu’il nous offre dans les pages de son livre. Et on la voit brillait encore plus quand on y arrive, à travers ses yeux.

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